Mali: L’autre Forum de Bamako, une belle réussite

Avec Abdoullah Coulibaly, Président du Forum de Bamako, rien n’est petit.
Conçu pour être moins grand comme format que le célèbre Forum de Bamako, l’autre Forum a été simplement magique et le temps est passé très vite pour les participants de qualité.
En prélude au 21è forum de Bamako, «L’ AUTRE FORUM-DE-BAMAKO » s’est tenu les 18 et 19 février 2021 à l’Hôtel Salam et en webinar.
Le thème était : Etat, Citoyenneté, Religions et Laïcité…
Sujet passionnant et d’actualité qui a suscité des débats avec des interventions mémorables venant des autorités maliennes qui ont présidé l’événement avec le Ministre malien de
l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, Le Lieutenant-Colonel Abdoulaye Maiga ,représentant le Premier Ministre, Ousmane Oumarou Sidibé, Président de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR).
Si le corps diplomatique était là, de nombreuses personnalités de la classe politique et de la société civile malienne n’ont pas manqué de donner de l’importance à l’événement avec un tel thème.
Le célèbre Juan Gomez a organisé pour la circonstance un spécial Appels Sur Actualité de RFI pour le monde entier.
Malgré le Covid 19, l’Autre Forum, fut un grand succès et ses recommandations resteront dans les mémoires.
Discours de Monsieur ABDOULLAH COULIBALY
Président de la Fondation Forum de Bamako
Thème : « État, Citoyennetés, Religions et Laïcité : état des lieux, enjeux et perspectives au Mali »
- Excellences Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement de Transition,
- Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs & Représentants des organisations sous régionales, régionales et internationales,
- Messieurs les Leaders et Dignitaires des grandes religions du Livre et de nos traditions ancestrales,
- Distingués Panélistes,
- Honorables Invités & Participants
- Mesdames et Messieurs, en vos rangs et qualités, tout protocole observé,
Je voudrais me joindre à vous pour rendre grâce au Tout Puissant qui nous a gratifiés de l’immense privilège de compter parmi les témoins et acteurs de cet « autre forum de Bamako. »
Le coronavirus, puisqu’il faut l’appeler par son triste nom, a terrifié la planète, chamboulé tous les agendas classiques, bousculé toutes les certitudes, même celles que la science et la technologie donnaient pour définitivement établies.
Confinement, distanciation, limitation ou interdiction d’attroupements et autres mesures barrière m’ont fait maintes fois méditer le Saint Coran, notamment, les derniers versets de la sourate 80, je cite :
« Quand viendra le Fracas, le jour où l’homme s’enfuira de son frère, de sa mère, de son père, de sa compagne et de ses enfants, car chacun d’eux, ce jour-là, aura son propre cas pour l’occuper… » Fin de citation.
En cet instant précis, je ressens comme un mélange de profonde compassion et de légitime fierté.
Ma compassion, je l’exprime, pour m’incliner sur la mémoire de tous nos parents, amis, compagnons de lutte et proches collaborateurs arrachés à notre affection en si peu de temps et à un rythme vertigineux.
Ma fierté, elle, je l’exprime, pour constater et m’en réjouir, de voir que notre solidarité, demeurée stoïque et inébranlable, a pris le dessus sur la pandémie du Covid-19.
La tenue de cet « autre forum » en est l’expression et la preuve tangible.
Il en est de même pour le thème qui sera débattu puisque c’est de notre vivre ensemble qu’il est question.
Permettez-moi donc, de saluer les initiateurs de ce forum atypique par son contexte mais combien souhaité et attendu pour sa pertinence et son ancrage dans les profondes préoccupations de la gouvernance du Mali.
Le thème, faut-il le rappeler, c’est : « État, Citoyennetés, Religions et Laïcité : état des lieux, enjeux et perspectives au Mali »
Chers participants ;
Convaincu que nos panélistes disposent d’expertises et de compétences avérées pour cerner tous les contours de ces concepts souvent galvaudés, je voudrais en rajouter d’autres qui me semblent tout aussi importants. Je veux parler des notions de civilité, de civisme, d’altérité, de tolérance et de solidarité.
La civilité est capitale à mes yeux car elle est avant tout, la politesse et le respect envers tout citoyen ; envers tout bien public : argent du contribuable, lieu de culte, bâtiment administratif, espace public, transports publics, espaces de loisirs, entre autres. La civilité, respect de la dignité de la personne humaine et respect du cadre de vie est le fondement et le ciment de la cohésion sociale. Elle suppose que tous les individus qui composent une société manifestent entre eux, une reconnaissance mutuelle et une acceptation tolérante de l’altérité.
C’est une grosse honte pour notre pays, que de voir l’honneur de paisibles citoyens entaché par les mensonges et les dénigrements sans fondement.
C’est un scandale inadmissible que d’entendre ou de lire à longueur de journée, à travers les réseaux sociaux, des injures, des grossièretés et autres abus de langage proférés contre de hautes personnalités religieuses, politiques, civiles et militaires, pour ternir leur image et bafouer leur dignité.
Dans la même lancée, le civisme ne consiste-t-il pas au niveau de chacun de nous en tout lieu et en toute circonstance de respecter et de faire respecter les lois et les règles en vigueur ?
Le civisme pose avant tout un problème de conscience individuelle, la conscience de nos devoirs envers la société. Il n’a de sens qu’à travers le comportement actif de chaque citoyen dans la vie quotidienne et publique ; comportement qui le conduit à privilégier l’intérêt collectif sur les intérêts personnels et égoïstes.
Ainsi, civilité et civisme nous conduisent à une autre valeur sociétale qui, à mes yeux, donne tout son sens à la société humaine. Il s’agit de la solidarité qui est cette noble attitude d’ouverture aux autres. Elle est le ferment de la fraternité humaine, la satisfaction intérieure de se rendre utile en venant en aide aux plus démunis. Nous participons à la solidarité à travers tout acte de générosité : don du sang, assistance à un malade, assistance aux sinistrés, paiement d’un impôt ou d’une taxe, respect du code la route, respect des mesures d’hygiène et tant d’autres gestes.
Sans civisme, sans civilité et sans solidarité, peut-on parler de citoyenneté et de laïcité ?
Chers panélistes ;
Je voudrais partager avec les participants qui n’ont pas eu accès aux termes de référence du présent forum, les éléments de contexte suivants, je cite :
« Pendant longtemps, le Mali a été considéré comme un des pays les plus stables en Afrique, un pays de tolérance et de coexistence pacifique entre les communautés et les religions. Les domaines de la religion et de l’État se croisaient et se régulaient respectivement depuis les familles, les cités et les États du Soudan Occidental. L’arrivée du modèle de l’État colonial a cependant introduit une volonté de stricte séparation juridique entre les différents échelons de l’autorité publique, aujourd’hui remise en cause par une société musulmane de plus en plus active dans l’espace public.
Depuis l’avènement de la démocratie pluraliste, suite à l’insurrection urbaine, de mars 1991, la situation a progressivement évolué vers un élargissement des libertés publiques, notamment associatives, dans lequel les religieux musulmans, majoritaires à 95%, impriment leurs marques.
La tolérance religieuse qui caractérise le Mali, montre parfois quelques signes d’affaiblissement, au fur et à mesure de la montée de l’extrémisme de certaines franges de la communauté musulmane, ce qui est de nature à inquiéter les minorités religieuses et peut menacer notre vivre ensemble si on n’y prend garde
Fin de citation
Ma question est la suivante : contrairement aux statistiques officielles, le syncrétisme religieux n’est-il pas la majorité silencieuse et la réalité officieuse au Mali ?
Chers panélistes
Je voudrais demander votre indulgence et rappeler ces mots de notre compatriote, feu professeur Mamadou Lamine TRAORE qui disait, je cite :
« Partout en Afrique opèrent des devins de tous genres, utilisant les techniques les plus diverses : cauris, noyaux et pépins de fruits, baguettes, etc., et l’on y voit païens, musulmans et chrétiens, paysans et intellectuels recourir à leur savoir… malgré les interdits de l’islam et du christianisme, malgré l’acquisition d’une culture scientifique et technique, tous s’en remettent aux devins pour les questions les plus essentielles. Ce mouvement va jusqu’aux sphères étatiques les plus élevées : au Mali, quelques devins sont connus pour avoir parmi leur clientèle plusieurs chefs d’État. Cela est révélateur du fait que la civilisation européenne, et, dans une certaine mesure, la civilisation musulmane ne sont pas implantées dans les profondeurs de la terre africaine ; elles ne se nourrissent pas de sa sève profonde et apparaissent comme sur-plantées et flottantes parce que c’est par la force, la domination économique et militaire, qu’on a voulu mêler les racines et par cette force, on a empêché tout élan de rénovation, de remise en cause des racines africaines elles-mêmes par elles-mêmes. » Fin de citation.
En mettant côte à côte ces constats, le débat sur les religions et la laïcité me paraissent une préoccupation des intellectuels.
Les vraies préoccupations des populations sont leurs frustrations nées des injustices multiformes, leurs attentes déçues par la mauvaise gouvernance de l’État affaibli, le manque de perspectives professionnelles des diplômés des Medersas et Universités arabophones, le relâchement des valeurs culturelles maliennes.
Ainsi tout discours, de quelque obédience qu’il soit, s’il récupère ces frustrations, mobilisera des foules qui n’ont rien à voir avec telle ou telle religion.
Par exemple, si la question foncière reste en l’état où les plus démunis sont dépossédés de leurs terres et exposés aux abus de pouvoir en tous genres, beaucoup de localités du Mali, notamment, celles du sud, rallieront les mouvements radicaux qui leur promettent un minimum de justice.
Les débats entre intellectuels africains, s’ils ne s’imprégnaient pas des aspirations réelles des populations, risquent d’être de stériles querelles de sémantique. Dans le meilleur des cas, chaque intellectuel se réduira à faire le perroquet, l’avocat ou pour dire drument les choses, le mercenaire de l’école ou du pays dont il a reçu la formation intellectuelle et idéologique ou l’appui financier.
L’engagement politique d’un leader religieux est-il en soi un acte condamnable ?
N’y-a-t-il pas eu en Amérique latine des mouvements chrétiens se réclamant d’une théologie de la libération ?
En tous cas, rappelons-nous qu’au Mali, de voix autorisées de l’Église Catholique ont dit que l’heure est révolue où on dirait au croyant : « prie et tais-toi »
Rappelons-nous qu’il est du devoir du musulman de repousser l’injustice par ses deux mains ; de la combattre par sa langue et de la rejeter de toute la force de son cœur.
Enfin, Thucydide ne disait-il pas, je cite : « Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. » ?
Chers panélistes ;
Je vous sais très avisés pour prendre en charge autant d’appréhensions et de questions.
Cette confiance me vaut de vous réitérer ma profonde reconnaissance et mes vœux de pleine réussite aux travaux de cet « autre forum » en prélude du traditionnel forum reporté au mois de mai 2021.
Je vous remercie ?
Abdoulaye Simpara pour Afrique Info